En ce début d’année, nous avons décidé de vous convier à un voyage. Dans une série d’articles, nous nous promènerons ensemble à travers le temps et l’espace, et partirons à la rencontre de femmes ingénieures qui ont marqué leur époque, la science et notre Histoire commune.

La première étape de ce voyage nous emmène dans l’Amérique des années Soixante. Nous y faisons la connaissance de trois femmes ingénieures au talent fou et au caractère bien trempé. D’origine afro-américaine (ce qui, à l’époque, rendait les choses plus difficiles encore), elles ont toutes les trois, œuvré à la NASA et contribué à la réussite du programme Mercury et de la mission Apollo 11.

Ces femmes sont Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson. Leurs noms vous disent peut-être quelque chose, puisqu’elles ont été les héroïnes du film Les figures de l’ombre, sorti en 2017 (et que nous vous recommandons chaudement !). Nous allons aujourd’hui apprendre à les connaître plus intimement en explorant leurs carrières et leurs parcours inspirants.

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Katherine Johnson, la mathématicienne qui calculait la course aux étoiles

Katherine Coleman Goble Johnson naît le 26 août 1918 à White Sulphur Springs, dans l’État de Virginie. Très jeune, elle montre déjà une forte appétence et un grand talent pour les mathématiques. Contrairement à ce qui était courant à l’époque, ses parents se rendent rapidement compte des facilités de leur fille, et la pousse à étudier.

Puisqu’il n’y a pas d’écoles publiques accueillant les jeunes afro-américains (et encore moins les jeunes afro-américaines) dans le comté de Greenbrier où ils résident, ils l’envoient au West Virginia College, dans le comté de Kanawha. Katherine vient de fêter ses dix ans quand elle y est admise.

Elle obtient son diplôme du secondaire (l’équivalent de notre baccalauréat) à l’âge de quatorze ans. À 18 ans, elle est diplômée de l’Université d’État de Virginie Occidentale avec la mention Suma Cum Laude, la plus haute distinction. Les aptitudes exceptionnelles de la jeune fille ne font aucun doute. Mais les mathématiques ne sont pas ses seules amours. Durant ses années d’études, elle s’inscrit bien entendu à tous les cours de mathématiques proposés, mais également à des cours de musique et de français, qu’elle souhaite enseigner. Elle débute humblement sa carrière dans une école publique en tant que professeur.

En 1939, elle épouse James Goble, quitte son emploi et intègre le programme prestigieux de mathématiques de son Université. Elle est la seule femme à avoir été choisie par le Président de l’Université pour intégrer ce programme, et se trouve parmi les trois seuls étudiants afro-américains. Pourtant, elle en sort dès la première session pour se consacrer à son rôle de mère de famille…

Une brillante carrière de mathématicienne

Quelques années plus tard, les mathématiques et l’émulation intellectuelle lui manquent. L’enseignement ne lui plaît pas. Que faire ? Décidée et volontaire, Katherine se lance dans une carrière de chercheuse. Cette voie était très difficile d’accès pour les femmes à cette époque, mais qu’importe !

En 1952, alors qu’elle partage un agréable moment en famille, elle entend que la NACA, le National Advisory Committee for Aeronautics (la future NASA) recherche des mathématiciens. C’est un signe du destin. Sans plus attendre, elle saisit cette opportunité et intègre l’institution l’année suivante.

Une participation aux missions spatiales les plus prestigieuses de son temps

Au sein de la NACA, Katherine débute sous la direction de Dorothy Vaughan, au service des calculs auprès d’autres collègues féminines. Mais sa place est ailleurs. Cinq ans plus tard, elle se fait remarquer et devient technologue aérospatial, ce qui était un véritable exploit pour l’époque. Ses capacités sont telles qu’elle travaille sur le programme Mercury, et la mission Apollo 11. Elle travaille à l’envoi du premier américain, John Glenn, dans l’espace. Ce dernier se méfie en effet des premiers ordinateurs calculant les suivis de trajectoire, et demande à ce que Katherine les vérifie manuellement avant de se lancer dans l’aventure.

Plus tard, la brillante mathématicienne travaillera également sur le programme de la navette spatiale américaine, et sur des missions visant à aller sur Mars.

De prestigieuses récompenses à la fin de sa vie

La carrière de Katherine Johnson est saluée par les autorités américaines qui, sous l’Administration Obama, lui décernent la médaille présidentielle de la Liberté en 2015. En 2019, elle reçoit la médaille d’or du Congrès des États-Unis d’Amérique, la plus haute distinction pouvant être reçue par des civils.

Paisible et reconnue de tous, elle décède le 24 février 2020, à l’âge de 101 ans, dans son État natal de Virginie (à Newport News).

Dorothy Vaughan, l’informaticienne qui a su se réinventer

Dorothy Vaughan quant à elle a connu une toute autre histoire. Dès 1925, alors qu’elle n’a que quinze ans, elle rentre à l’Université de Wilberforce, dans l’Ohio, grâce à une bourse d’études. Cet établissement a été fondé par des noirs américains, en faveur de ces derniers. Elle intègre alors la sororité Alpha Kappa Alpha, une confrérie créée par des femmes afro-américaines au début du XXe siècle. Elle est diplômée en 1929, où elle obtient un bachelor en mathématiques avec la distinction Cum Laude.

Un parcours inédit dans la NASA d’après-guerre

Fraîchement diplômée, elle épouse Howard Seymoure Vaughan en 1932. Le couple aura quatre enfants. Alors que le pays connaît la Grande Dépression, Dorothy postule à un poste de professeur de mathématiques et est engagée à la Robert Russa Moton High School de Virginie. Cet établissement public est réservé aux jeunes afro-américains de l’État. Très tôt, la passion de Dorothy pour la transmission et l’enseignement est évidente. Mais les soubresauts de l’Histoire vont l’entraîner sur un autre chemin.

Les États-Unis entrent en guerre en 1941, bouleversant la vie de millions d’américains. Dorothy rentre à la NACA en 1943 en tant que calculatrice, à un poste temporaire qui devait prendre fin au sortir de la guerre. Ce département est ségrégué et comporte donc ses propres cuisines, salle de pause et toilettes. Le personnel noir ne se mélange aucunement au personnel blanc. La jeune Vaughan sait que son temps y est compté et que sa famille a besoin d’elle pour survivre. Elle va donc faire preuve d’un investissement rare, d’une force de travail exceptionnelle et d’une fulgurante intelligence pour rester à son poste. En 1949, loin de voir s’achever son contrat, Dorothy prend la tête du service. Mais la tranquillité et la sécurité de l’emploi sont loin d’être acquises…

Le tournant vers l’informatique et le devoir de transmettre

En 1961, la NASA acquière son premier ordinateur. Consciente que la puissance de calcul de cette nouvelle machine va de loin supplanter les capacités de la meilleure des mathématicienne, Dorothy décide de réagir. Alors que personne ne pressent la menace grandissante de l’ordinateur pour les postes des calculatrices, elle se passionne pour le numérique. Très vite, elle apprend à coder en autodidacte et dompte les machines IBM fraîchement acquises par la NASA. Désireuse de transmettre son savoir, elle écrit même un livre visant à enseigner les calculs d’algèbre que chacun se doit de connaître pour travailler en informatique.

Elle se spécialise dans la programmation Fortran, et devient incontournable dans le département électronique et informatique. Passionnée et investie, elle s’attèle à enseigner le codage informatique à ses collègues et subordonnées pour que ces dernières ne se voient pas doubler par l’arrivée des ordinateurs. Il s’agit là d’un véritable combat pour elle. Grâce à cet enseignement et à nombre d’autres actions, Dorothy s’engage avec ferveur dans la lutte pour l’égalité femmes-hommes, et ce durant toute sa carrière.

Un travail salué à titre posthume

C’est en 1971 qu’elle prend sa retraite. Elle fut la première femme, et la première afro-américaine, à prendre la tête d’un département à la NASA. Cependant, elle n’aura plus jamais d’autres promotions.

Elle s’éteint le 10 novembre 2008, chez elle à Hampton, âgée de 98 ans.

Le 15 novembre 2018, elle reçoit la médaille d’or du Congrès à titre posthume, tout comme ses deux collègues, Katherine Johnson et Mary Jackson. En 2019, son nom est donné à un cratère lunaire par le planétologue Ryan N. Watkins qui fut son étudiant et la portait en très haute estime.

Mary Jackson, l’ingénieure qui bouscula les règles du jeu

Dès sa jeunesse Mary Jackson montre des capacités exceptionnelles. Douée, elle excelle dans ses études secondaires, puis universitaires. Elle reçoit brillamment son diplôme de mathématiques et de sciences physiques à l’Université d’Hampton en 1942.

Tout comme Dorothy Vaughan, elle intègre la sororité Alpha Kappa Alpha durant ses études. Et tout comme Mary Johnson et Dorothy, elle débute sa carrière comme professeur dans une école publique, dans le comté de Calvert (Maryland). Par la suite, elle sera réceptionniste, bibliothécaire puis secrétaire dans l’armée, avant d’intégrer la NASA en 1951.

Un parcours atypique, marqué par l’engagement et le courage

Elle y débute dans le département des calculs informatiques de Dorothy Vaughan (et oui, tout est lié !). Or, elle aussi, était promise à un autre destin. Deux ans seulement après son entrée à la NASA, elle est remarquée par l’ingénieur Kazimierz Czarnecki qui lui propose d’intégrer le département de recherche sur la compressibilité. La proposition est extraordinaire. Mary le sait et ne peut contenir son enthousiasme… Mais ne peut accepter. Elle doit en effet obtenir tout d’abord le diplôme d’ingénieur. Or, pour pouvoir y prétendre, elle doit suivre des cours du soir en mathématiques et en sciences physiques qui ne sont pas accessibles aux afro-américains. Pugnace, l’ingénieure en devenir va en justice et demande l’autorisation à la Ville d’intégrer le lycée public d’Hampton. Devant la volonté inflexible de la jeune femme (et ses arguments frappants), la Cour est favorable. Plus rien désormais n’arrêtera Mary Jackson.

En 1958, elle obtient son diplôme et devient la première femme ingénieure noire des États-Unis d’Amérique. Elle commence alors à publier ses résultats de recherches sur la soufflerie et les expériences de vol supersoniques. Elle rédige, ou co-rédige, une douzaine d’articles sur la traînée et la poussée. Son travail est de plus en plus reconnu. Elle reçoit alors une promotion et travaille main dans la main avec les officiers mécaniciens navigants.

Un engagement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes

Mary est très investie dans le combat contre les inégalités femmes-hommes. Elle s’engage auprès des minorités et conseille les femmes pour faire avancer leurs carrières d’ingénieures.

Après 34 ans de passés à la NASA, elle occupe un très haut poste (le plus haut qu’elle puisse avoir sans devenir manager), mais décide de se réorienter vers l’administration pour servir son combat contre les inégalités. Cela suppose une forte diminution de son salaire mais les convictions de Mary l’emportent.

Elle suit une formation interne et s’engage au quotidien pour valoriser les femmes à haut potentiel issues des minorités. Elle œuvre, jusqu’à sa retraite en 1985 au bureau de l’égalité des chances en tant que manager et responsable de programme.

Des récompenses méritées, mais tardives

Tout comme ses consœurs, Mary est décorée de la médaille d’or du Congrès à titre posthume en 2019. Le 25 juin 2020, les bâtiments du siège de la NASA sont baptisés en son nom, afin de rendre hommage à ses travaux, à son courage et à son engagement constant pour l’égalité.

Retracer la vie de ses femmes d’exception, c’est également brosser le portrait d’une époque, pas si lointaine, où les carrières féminines dans l’ingénierie n’étaient ni aisées, ni évidentes. De par leur courage, leur force et leur investissement constant, Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson ont su ouvrir une voie qu’il nous est possible à tous et à toutes d’emprunter. Nous espérons que ces rencontres sauront vous inspirer et vous inviter à tracer, vous aussi, votre propre chemin.

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